Épilation à la lumière pulsée. Les dermatologues veulent conserver le monopole
Actuellement réservée aux médecins, l’épilation à la lumière pulsée pourrait être autorisée aux esthéticiennes. C’est en tout cas ce que prévoit un décret encore à l’état de projet. Mais le Syndicat national des dermatologues-vénéréologues (SNDV) s’oppose farouchement à une telle mesure. Selon cet organisme, cette pratique devrait rester dans le giron des médecins. Décryptons leurs arguments.
Autoriser les esthéticiennes à pratiquer l’épilation à la lumière intense pulsée (IPL) ? Pas question ! Chez les dermatologues, une levée de boucliers a accueilli le projet de décret en ce sens, envoyé aux différentes parties pour recueillir leurs opinions. Le Syndicat national des dermatologues-vénéréologues (SNDV) s’est publiquement opposé à une telle ouverture. Les esthéticiennes n’auraient pas la formation en santé nécessaire pour manipuler avec sécurité ces appareils.
Les risques associés à la pratique de l’épilation IPL sont au cœur des inquiétudes des dermatologues. Les appareils manipulés, expliquent-ils, ont une action profonde sur les cellules de la peau. Leur usage doit donc être précédé d’un diagnostic de la peau. « Il doit être réalisé au préalable et tout au long du traitement, précise le Dr Anne Bellut, dermatologue et secrétaire générale du conseil d’administration du SNDV. Si un médecin voit une lésion de type mélanome, il ne passera pas l’appareil dessus. » De fait, les esthéticiennes ne sont pas formées à reconnaître de telles lésions. Sans précaution, un cancer de la peau pourrait donc être ignoré, estiment les dermatologues.
Le principe est le suivant : la lumière est absorbée par le sombre (la mélanine) – normalement le poil. Son énergie est dirigée jusqu’à sa zone de croissance, qui brûle. Mais les appareils ne distinguent pas un poil d’une autre tache sombre sur la peau. « Il existe un risque de brûler des lésions graves, comme un mélanome, et d’en dénaturer l’aspect, avance le Dr Anne Bellut. La lésion pourra alors être masquée, donc continuer de se développer. » Consulter un spécialiste avant chaque séance est hors de question : ce serait bien trop coûteux pour la Sécurité sociale.
UN RISQUE TRÈS EXAGÉRÉ
Y a-t-il vraiment de tels risques qu’il faille réserver l’IPL aux dermatologues ? Cette épilation n’est pas anodine, il faut bien l’avouer. La Commission de la sécurité des consommateurs (CSC) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) se sont toutes deux penchées sur le sujet (1). Parmi les effets secondaires légers, elles recensent inflammations locales et transitoires, modifications de la pigmentation de la peau, brûlures légères… Mais des incidents plus graves peuvent survenir (brûlure profonde, atteintes oculaires, cicatrices, etc.).
Le Pr Gérard Lorette, dermatologue au CHU de Tours, a dirigé le groupe de travail de l’Anses sur les épilateurs au laser et à la lumière pulsée. « On a trouvé très peu d’incidents liés à l’épilation à la lumière pulsée ou au laser », tempère-t-il. Il existe toutefois des contre-indications dont il faut être informé, car elles peuvent favoriser l’apparition d’effets secondaires (voir encadré). « Si une formation spécifique est mise en place, il faudrait qu’elle précise quand diriger le client vers le dermatologue », indique ce spécialiste.
Pour autant, les dermatologues se montrent très alarmistes quand ils évoquent un risque de cancer masqué par l’épilation IPL. « On n’a pas trouvé d’étude qui montre que ces appareils rendent maligne une tumeur cutanée ou la transforment. Le risque théorique est minime », tranche le Pr Lorette. Une solution a d’ailleurs été évoquée : couvrir les grains de beauté et autres tâches avant tout acte d’épilation.
CONTRÔLE POUR TOUS
La défense du monopole des médecins semble d’autant plus déplacée qu’eux-mêmes ne respectent pas le cadre à la lettre. « Un certain nombre de médecins font effectuer des actes d’épilation par un ou plusieurs collaborateurs non médecins, en leur absence, ce qui est non conforme à la législation », note l’Anses dans son avis de 2016. Par ailleurs, seuls les médecins peuvent manier les appareils d’épilation IPL mais « la pratique de ces actes n’est pas conditionnée par l’exigence d’une formation préalable », indique l’Anses. Plusieurs professionnels les manient ainsi sans avoir été formés par le fabricant. L’Agence avait donc conclu que remettre de l’ordre dans la législation était nécessaire.
« Il faut un contrôle pour les dermatologues et les esthéticiennes, une formation obligatoire pour chaque type d’appareil, et un suivi du matériel, qui peut se dérégler, conclut le Pr Gérard Lorette, personnellement favorable à une ouverture de la pratique aux esthéticiennes. Si la formation des non-médecins se fait sous l’égide des dermatologues, c’est tout à fait positif. La question, c’est de poser la bonne indication. Appuyer sur un bouton pour épiler, ça n’est pas un problème. »
Cette formation fait justement partie des reproches émis par le SNDV. « On parle d’une formation de quelques heures qui rendra autonome des personnes n’ayant aucune formation en santé, alors que les paramédicaux continueront de travailler sous la responsabilité d’un médecin », conteste le Dr Anne Bellut. En réalité, le volume horaire de cette formation n’a pas été détaillé. On sait, en revanche, qu’elle comportera un volet sur le risque sanitaire, sur la pratique, les effets biologiques du laser et les règles de sécurité à suivre. Et qu’il faudra la renouveler tous les cinq ans.
LES CONTRE-INDICATIONS À L’ÉPILATION À LA LUMIÈRE PULSÉE
Les contre-indications à l’épilation à la lumière pulsée sont fixées par les centres eux-mêmes. Peu de données solides permettent de savoir si elles sont fondées ou non.
Contre-indications absolues : mineur de moins de 15 ans, personne non coopérative, maladie de peau aggravée par les UV (ex. : lupus), infection cutanée active (ex. : herpès, staphylocoque).
Contre-indications relatives : cicatrices chéloïdes, coupures superficielles, médicaments photosensibilisants, psoriasis, vitiligo, historique d’herpès, peau foncée.
Contre-indications non évaluées mais appliquées par certains centres : maladies provoquant un déficit immunitaire, diabète, maladies dermatologiques chroniques, allergies cutanées, troubles cardiaques ou de la coagulation, grossesse, trouble hormonal.
(1) Avis sur les lampes à lumière pulsée utilisées pour l’épilation, Commission de la sécurité des consommateurs, 2014.
Avis de l’Anses sur les épilateurs au laser et à la lumière pulsée, décembre 2016.