Ceta. Les députés devant une décision historique
En votant pour ou contre la ratification de l’accord de libre-échange Union européenne-Canada (Ceta), les députés ont l’occasion d’envoyer un signal fort sur le modèle de développement qu’ils souhaitent favoriser pour l’avenir.
Les décisions importantes sont fréquemment soumises au vote des députés au milieu de l’été, celle sur la ratification du Ceta (1) n’échappe pas à la règle. Demain, mercredi 17 juillet, l’Assemblée devra se prononcer sur cet accord commercial entre l’Union européenne et le Canada qui doit recueillir l’assentiment des assemblées des 28 États membres pour que l’ensemble de ses dispositions entrent en vigueur. Le vote des parlementaires revêt une haute importance pratique et symbolique.
En pratique, même si la majorité de l’accord est déjà en application, un volet important reste conditionné au vote des différentes assemblées nationales, celui sur le mécanisme d’arbitrage. Ce mécanisme prévoit qu’une entreprise privée peut attaquer un État devant un tribunal d’exception si elle estime que ses intérêts sont lésés par des réglementations – notamment environnementales ou sanitaires – trop rigoureuses. Le risque est grand de voir les intérêts commerciaux prendre l’ascendant sur les réglementations nationales qui protègent les consommateurs. Dans une lettre aux députés, 72 organisations non gouvernementales dont l’UFC-Que Choisir s’inquiètent de ce que des dizaines de milliers d’entreprises canadiennes, ou étasuniennes via leurs filiales au Canada, puissent ainsi fragiliser les réglementations établies par des États souverains dans l’intérêt général, et obliger ces États à engager des sommes considérables pour se défendre, aux frais des contribuables. La menace est d’autant plus sérieuse que même après une éventuelle dénonciation du Ceta, ces tribunaux resteraient en place pendant encore 20 ans ! Un « non » des députés empêcherait la mise en place de cet inquiétant dispositif.
CADRE RÉGLEMENTAIRE BIEN MOINS CONTRAIGNANT QUE CELUI EN VIGUEUR
Sur le plan symbolique, le Ceta est considéré comme un modèle ouvrant la voie à plusieurs accords commerciaux dits « de nouvelle génération », au premier rang desquels celui entre l’Union européenne et le Mercosur, prochainement soumis au vote du Conseil de l’Union européenne. Ces nouveaux traités de libre-échange ne se contentent pas d’abaisser les droits de douanes, ils prévoient un dialogue permanent pour faire converger les normes, nommé « coopération réglementaire ». À la clé, un risque réel de voir bien des réglementations édictées dans l’intérêt des consommateurs et de l’environnement vidées de leur substance. Ainsi, le Ceta facilite l’importation en Europe de denrées alimentaires produites au Canada selon un cadre réglementaire bien moins contraignant que celui de l’Union. Par exemple, les farines animales ainsi que les antibiotiques en tant qu’activateurs de croissance peuvent y être utilisés dans l’alimentation du bétail ; quant aux végétaux, ils peuvent y être cultivés en utilisant des pesticides interdits depuis des lustres en Europe, comme l’atrazine. Dans le cadre de la coopération réglementaire, rien ne dit que c’est le modèle européen qui prendra le dessus. Ainsi, Mathilde Dupré, codirectrice de l’Institut Veblen, un think-tank sur la transition écologique, constate déjà « des assauts répétés du Canada pour éviter l’interdiction du glyphosate et obtenir que les limites maximales de résidus pour d’autres pesticides soient revues à la hausse ». Quant à la protection de l’environnement, c’est une préoccupation secondaire des signataires de l’accord, aucune mesure contraignante n’ayant été prévue dans ce domaine.
TRANSITION ÉCOLOGIQUE, BIODIVERSITÉ, SANTÉ DES ÉCOSYSTÈMES FRAGILISÉES
Plus largement, la perspective de favoriser les échanges transatlantiques, aujourd’hui avec le Canada, demain avec le Mercosur (2) semble contradictoire avec le mouvement vers une relocalisation de l’économie et la survie d’un mode d’élevage familial et herbager que les consommateurs, les défenseurs de l’environnement et un certain nombre d’agriculteurs appellent de leurs vœux. « Les conditions ne sont pas réunies dans cet accord pour défendre l’agriculture durable, la transition écologique, les enjeux portant sur le climat, la biodiversité, la santé des écosystèmes », a déclaré en substance Sophie Devienne, ingénieur agronome et membre de la Commission d’évaluation de l’impact du Ceta devant la Commission développement durable de l’Assemblée nationale le 10 juillet dernier (voir encadré). En choisissant d’écouter ce message ou de l’ignorer, les députés auront mercredi l’occasion d’envoyer un signal fort sur le mode de développement qu’ils souhaitent promouvoir.
UN RAPPORT RESTÉ LETTRE MORTE
Affichant une volonté d’éviter les atteintes trop criantes à la protection de l’environnement et de la santé publique, le candidat Emmanuel Macron avait promis, avant l’entrée en vigueur du Ceta (et entre les deux tours de la présidentielle…), de demander un rapport à un groupe d’experts, s’engageant à faire modifier le texte du traité en tenant compte de leurs propositions. Réunissant économistes, juristes, spécialistes de l’agronomie et de l’environnement, la Commission d’évaluation de l’impact du Ceta rendait le 7 septembre 2017 un rapport très étayé listant un certain nombre de risques économiques, sociaux, sanitaires et environnementaux. Soulignant que « le grand absent de l’accord, c’est le climat », les rapporteurs pointaient le manque d’ambition environnementale du Ceta et la mise en concurrence des agriculteurs européens avec un élevage canadien bien plus industrialisé. Ils développaient par ailleurs une série de propositions. Mais toutes sont restées lettre morte, notamment celles portant sur la participation de la société civile au Forum de coopération réglementaire (où sont discutées les évolutions de la réglementation), sur la transparence des débats de cette instance ou encore sur le veto climatique qui aurait permis aux États d’écarter d’emblée certains recours des entreprises contre des législations édictées au nom de la préservation du climat.
(1) Ceta : Comprehensive Economic and Trade Agreement (« Accord économique et commercial global »).
(2) Le Brésil, avec sa réglementation environnementale extraordinairement laxiste, en fait partie. Plus de 120 pesticides ont ainsi été récemment autorisés en l’espace de 3 mois.