UFC-Que Choisir de la Nièvre

Santé / Bien-être

Thyroïde. Quand faut-il faire des examens ?

Trois millions de personnes sont traitées par Levothyrox en France. Ce chiffre frappant est apparu à l’occasion de la crise de confiance liée à ce médicament donné en cas de maladie de la thyroïde. Et il interroge. Le nombre de diagnostics d’hypothyroïdie a explosé, en partie grâce à des examens biologiques plus fréquents. À raison ? Sans doute pas. Plusieurs médecins s’accordent à le dire : le recours à des analyses est loin d’être toujours justifié. Ainsi il n’est pas rare que des personnes se voient proposer un dosage de la TSH (une hormone stimulant la thyroïde) alors qu’elles n’ont ni risque particulier ni symptôme évocateur. Ces examens inutiles présentent l’inconvénient majeur d’entraîner la prise de médicaments qui ne sont pas nécessaires.

 

Depuis le début des années 2000, le nombre de patients traités par lévothyroxine (Levothyrox) a considéra­blement augmenté. « En France, il y a environ 3 millions d’utili­sateurs de lévothyroxine alors qu’on devrait en attendre 2 millions », estime le Pr Françoise Borson-Chazot, chef du service d’endo­crinologie à l’hôpital Louis-Pradel de Lyon. La faute revient, au moins en partie, au « surdiagnostic » d’hypothyroïdie, c’est-à-dire à un diagnostic porté à tort de maladie. En effet, les médecins français recourent trop systématiquement aux analyses biologiques de la fonction thyroïdienne. Il faut dire que les recommandations, bien que claires, restent assez peu respectées. Voici ce qui devrait être fait : les bons dosages, au bon moment et bien interprétés.

 

FAIRE LES BONS DOSAGES

L’hypothyroïdie est une anomalie du fonctionnement de la thyroïde (voir encadré ci-dessous). Elle s’identifie à l’aide d’une prise de sang, qui aide à repérer le déséquilibre hormonal, qu’on appelle le dosage de la TSH (thyroid-stimulating hormone). Le principe est le suivant : quand la thyroïde peine à répondre à la demande de l’organisme, elle est stimulée par le biais de l’hormone TSH. En cas d’hypo­thyroïdie, la concentration sanguine de TSH augmente (voir encadré).

En complément du dosage de la TSH, de nombreux médecins prescrivent un dosage des hormones thyroïdiennes (T3 et T4). Cela a peu d’intérêt en première intention. « Le paramètre de référence est la TSH », rappelle le Pr Borson-Chazot. La mesure des hormones thyroïdiennes ne servira qu’à confirmer l’ampleur de l’insuffisance. « Leur dosage systématique ne sert pas à grand-chose et risque d’inquiéter inutilement  , insiste l’endocrinologue.

En fonction du profil de chaque personne, des examens complémentaires pourront être demandés :

  • une recherche des anticorps dits anti-TPO, témoins d’une atteinte auto-immunitaire (maladie de Hashimoto).
  • une échographie thyroïdienne pour vérifier l’état de la glande, qui peut s’atrophier ou gonfler sous l’effet de l’inflammation chronique.

 

FAIRE LES DOSAGES À BON ESCIENT

Le surdiagnostic tient en partie à l’excès d’analyses. « Si on cesse de faire un bilan systématique de la TSH en l’absence de symptômes, on aura probablement bien moins de diagnostics », estime le PRémy Boussageon, généraliste enseignant à la faculté de médecine de Lyon-Est. Une chose est sûre, chez des personnes en bonne santé, sans symptôme particulier et sans facteur de risque, rechercher un trouble de la thyroïde ne présente pas d’intérêt majeur. Ces examens sont indiqués dans des conditions spécifiques. Par exemple, face à plusieurs signes évoquant une hypothyroïdie (fatigue, prise de poids, crampes, etc.). Seul problème, « ces symptômes sont difficiles à définir, car ils sont très généraux et fréquents dans la population générale, indique Daniel Glinoer, professeur honoraire à l’Université libre de Bruxelles (Belgique). En outre, ils n’apparaissent pas immédiatement en raison d’un système de régulation multiple. » Voilà qui explique, sans doute, la propension de certains médecins à prescrire facilement des analyses.

Quelques cas précis justifient un dépistage :

  • les femmes de plus de 50 ans ayant déjà connu des troubles de la thyroïde ;
  • les personnes qui prennent des traitements à risque pour la thyroïde (amiodarone, sels de lithium, interféron, cytokines, etc.) ;
  • les personnes ayant des antécédents de chirurgie thyroïdienne.

Même lors d’une grossesse, des facteurs de risque doivent être présents : des antécédents personnels ou familiaux, ou un diabète de type 1 (auto-immun).

 

FAIRE LA BONNE INTERPRÉTATION DES CHIFFRES

Même si les examens sont pratiqués à bon escient, ils peuvent révéler des situations très différentes et leur interprétation est parfois difficile. Selon le PBoussageon, « il faut faire attention aux diagnostics hâtifs et prendre du recul sur les signes ».

Lorsque la TSH est très élevée (supérieure à 10 mUI/L) et que le taux de l’hormone thyroïdienne T4 (la thyroxine) est bas, le diagnostic ne fait aucun doute. L’hypothyroïdie est patente… à condition de la confirmer par un deuxième examen. « Certains médecins ont tendance à faire un seul dosage et traiter d’emblée, déplore le Pr Borson-Chazot. On considère que ce patient souffre d’hypothyroïdie définitive, ce qui n’est pas toujours le cas. » Doser les anticorps anti-TPO s’avère alors utile, puisque cela permet de confirmer une forme auto-immune, lorsque les anticorps détruisent la thyroïde.

Quand la TSH est un peu trop élevée (entre 4 et 10 mUI/L), mais que le taux des hormones thyroïdiennes est normal, on parle d’hypothyroïdie fruste. « C’est une notion qui découle de la généralisation du dosage en laboratoire », avance le Pr Glinoer. Mais le diagnostic est plus délicat, car cette hypothyroïdie fruste recouvre de nombreuses réalités. Parfois symptomatique mais pas toujours, elle peut évoluer… ou non. Prendre son temps avant de traiter est alors essentiel. Environ deux tiers des personnes présentant cette anomalie verront leur TSH se normaliser sans traitement (1). Le risque d’un diagnostic trop prompt ? Mettre en cause un dysfonctionnement de la thyroïde, à tort. « Même si la TSH se situe entre 4 et 10 mUI/L, cela n’explique pas toujours des symptômes comme la fatigue ou la frilosité », insiste le Pr Boussageon.

Autre élément difficile à interpréter, la présence d’anticorps dirigés contre la thyroïde. Environ une femme sur cinq et 3,5 % des hommes vivent avec eux sans développer d’hypothyroïdie (2). « Chez des personnes avec une TSH normale et des anticorps, le risque d’évolution vers une hypothyroïdie est évalué à 2 % par an », chiffre le Pr Borson-Chazot. Voilà qui confirme l’intérêt de prendre du recul avant de poser le diagnostic.

 

ATTENTION AUX CAS PARTICULIERS

Face à toutes ces subtilités viennent s’ajouter des situations particulières. Si la TSH normale est évaluée entre 0,4 et 4 mUI/L, ce repère peut varier en fonction de certains facteurs.

L’âge. On sait que les thyroïdites auto-immunes sont plus fréquentes après 50 ans. Mais un autre phénomène se produit à la même période. « Avec l’âge, les valeurs normales de la TSH sont légèrement supérieures à celles utilisées comme référence en laboratoire », avertit le Pr Borson-Chazot. Passé 70 ans, l’examen peut donc révéler ce qui semble être une hypothyroïdie fruste… alors qu’il n’en est rien. Le diagnostic est d’autant plus difficile que ces individus souffrent souvent d’autres maladies chroniques, provoquant des symptômes proches. Cette population constitue sans doute la majorité des surdiagnostics, selon nos experts.

L’obésité. « La TSH est un peu plus élevée que la normale, sans doute à cause d’un mécanisme de compensation, indique le Pr Borson-Chazot. Ces patients sont traités trop vite alors qu’ils n’ont probablement pas de problème thyroïdien. » Une décision qui affecte la qualité de vie inutilement. Les personnes obèses constituent un autre groupe à risque de surdiagnostic.

UN RALENTISSEMENT GÉNÉRAL

L’hypothyroïdie se définit comme une insuffisance de production de la thyroïde qui touche surtout les femmes et les personnes âgées. Cette glande est alors incapable de produire la quantité d’hormones suffisante par rapport aux besoins du corps.

  • Les symptômes de la maladie sont liés à ce ­ralentissement général : fatigue, constipation, rythme cardiaque faible (bradycardie), etc.
  • La traiter ne permet pas de seulement soulager en partie ces symptômes. Cela peut limiter, à long terme, la survenue ­d’incidents cardio­vasculaires ou de complications au cours de la grossesse, les hormones thyroïdiennes maternelles étant essentielles pour le développement du fœtus.

LA RÉGULATION DES HORMONES THYROÏDIENNES

Bien cachée à la base du cou, la thyroïde ne paie pas de mine. Et pourtant, cette minuscule glande en forme de papillon joue un rôle essentiel : elle fabrique deux hormones qui agissent sur tout un ensemble de fonctions biologiques. Contrôle du métabolisme des cellules et de la température du corps, régulation de l’humeur, du rythme cardiaque et de la digestion, transformation des nutriments, etc. Autant de fonctions qui se dérèglent quand la thyroïde défaille.

Le rôle de la TSH

C’est l’hypophyse (glande située à la base du cerveau) qui stimule la thyroïde en fonction des besoins réels du corps grâce à une hormone spécifique, la TSH. En temps normal, son taux est censé être bas et stable. La thyroïde sécrète alors deux hormones :

  • la thyroxine (T4). Produite en grande quantité, elle est qualifiée d’hormone de réserve car elle n’est pas directement active. C’est elle que remplace le Levothyrox (lévothyroxine) ;
  • la triiodothyronine (T3), qui agit dans les cellules. Elle est sécrétée en petite quantité ; la plus grande partie est formée à partir de la T4 directement dans les cellules.

Ce mécanisme bien huilé permet d’éviter les surdoses, qui sont toxiques pour le corps.

Comment ça marche

La régulation des hormones thyroïdiennes

 

(1) « Serum thyrotropin measurements in the community : five-year follow-up in a large network of primary care physicians », JAMA Internal Medicine, 23/07/07.
(2) « État des lieux de l’utilisation de la lévothyroxine en France », Agence nationale de sécurité des médicaments, 10/13.