UFC-Que Choisir de la Nièvre

Droits / Justice

Justice, conciliation, médiation. Petits litiges et gros tracas

C’est une énième réforme de la justice que porte la garde des Sceaux, Nicole Belloubet. Un projet complexe et dense qui touche à de nombreux aspects du champ judiciaire. Le 23 mars 2019, la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a été adoptée. Que Choisir s’est intéressé plus particulièrement au volet consacré à la simplification de la procédure civile. Traduit en clair, cela concerne le développement des modes de règlement amiable des petits litiges (conflits de voisinage, conflit avec un commerçant, une banque, etc.). Désormais, il est obligatoire de recourir à la conciliation de justice pour un litige évalué à moins de 4 000 €, avant de saisir le juge si ces démarches préalables n’aboutissent pas. Dans le même temps, la médiation entre consommateurs et professionnels est encouragée. Curieux de connaître les expériences de nos lecteurs, nous avons d’abord lancé un appel à témoignages dans notre magazine, tout en menant parallèlement une enquête de satisfaction. Et nous avons été très surpris par la masse et la qualité des témoignages reçus ! Nous avons décidé d’en sélectionner quelques-uns et de partir à la rencontre de ces consommateurs accaparés par le règlement de leur litige. Nous avons également rencontré conciliateurs de justice, médiateurs de la consommation, magistrats, etc. Au total, près d’un an d’enquête pour tâcher d’y voir un peu plus clair dans les méandres d’une justice dite de proximité, mais dont la dimension humaine fait encore trop souvent défaut.

 

« Ceci est un résumé de mes démarches en justice pour un litige avec une entreprise de déménagement. » Ainsi débute le courrier de Jean Attuyt. Il fait suite à l’appel à témoignages publié ces derniers mois dans nos colonnes pour accompagner notre « enquête de satisfaction Justice-conciliation-médiation de la consommation ». Jamais nous n’aurions imaginé recevoir autant de dossiers de votre part, et merci à vous ! Mais parmi eux, il a fallu en sélectionner une poignée. Celui de Jean Attuyt en fait partie. Et vous allez vite comprendre pourquoi il sera notre « fil rouge ».

Lauris, un gros bourg du Vaucluse ramassé sur son rocher. Nous avons rendez-vous avec Jean Attuyt sur la place de la mairie. Notre homme est à l’heure. C’est un grand gaillard de 74 ans. De ceux que l’on ne chahute pas. « Suivez ma voiture ! Je vous guide jusque chez moi », nous ordonne-t-il. Villa contemporaine, simple, de plain-pied. Le mobilier, style Ikea, se veut pratique. Cet ancien commandant de police habite les lieux en location avec son épouse. Pas trace de ce charmant accent local chez eux. Et pour cause. Originaires d’Île-de-France, ils sont arrivés dans la région il y a une vingtaine d’années pour raisons professionnelles. « Ma femme, vacataire, n’a jamais obtenu de titularisation, c’est pourquoi nous avons enchaîné les déménagements dans la région », précise Jean Attuyt.

Un déménagement qui s’est mal passé

Devant nous, il empile les dossiers sur la table de la salle à manger. Depuis leur installation dans les lieux, en juillet 2017, les Attuyt tentent d’obtenir un dédommagement de l’entreprise qui a dégradé plusieurs de leurs meubles lors de leur déménagement. Une affaire qui a retenu notre attention non pour son caractère exceptionnel mais parce qu’elle met en lumière tous les obstacles qui se dressent sur la route du consommateur-citoyen cherchant à régler « un petit litige ». Médiation de la consommation, conciliation, justice (voir encadré) : Jean Attuyt a coché toutes les cases ! Pour son déménagement, confié à une société locale, il opte pour la « Formule confort » à 2 000 € avec une garantie de 50 € (franchise de 250 €). Le déménageur s’occupe de tout, y compris de remettre les chemises sur les cintres. « Dans les faits, ils n’ont pas pris la peine de démonter les meubles,raconte notre retraité. Ils ont même forcé pour passer l’armoire par la fenêtre de la chambre… Tout est allé très vite ! » Lorsqu’il faut signer le constat (la lettre de voiture) qui marque la fin de l’opération, Jean Attuyt fait deux remarques. Le déménageur est pressé, il ne s’attarde pas. « Ce n’est que le surlendemain que nous avons découvert des dégâts sur le lave-vaisselle, un pied de canapé cassé, une porte d’armoire qui ne tenait plus qu’avec du ruban adhésif… » Il décide de faire jouer auprès du déménageur la garantie qu’il a prise. Rien ne se passe !

D’abord la médiation

C’est alors que débute un parcours semé d’embûches. Le septuagénaire se tourne, pour commencer, vers l’association locale de l’UFC-Que Choisir la plus proche de son domicile, à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Il se rappelle : « Le bénévole qui m’a reçu m’a confirmé que lorsque le déménageur était en faute, il n’avait pas à m’appliquer la franchise prévue par la garantie. Il m’a conseillé de me tourner vers le médiateur choisi par le déménageur, Médicys. » En fait, une association d’huissiers de justice spécialisés dans la médiation et le règlement amiable des litiges pour le compte de nombreuses entreprises.

Comme 77 % des personnes ayant répondu à notre enquête de satisfaction, Jean Attuyt a d’abord cherché à régler ce conflit à l’amiable. Tout en se disant que, s’il n’y parvenait pas, il irait jusqu’au bout, en justice. « Ce n’est pas tant pour être indemnisé des dégâts causés sur nos meubles que j’ai entrepris toutes ces démarches que pour une question de principe. Je déteste avoir le sentiment de me faire pigeonner », déclare l’ex-officier de police sur un ton indigné.

Médicys enregistre le courrier de Jean Attuyt et en adresse un autre à l’entreprise de déménagement. Qui ne répond toujours pas. Fin de la tentative de médiation. Notre consommateur se rend alors au tribunal d’instance de Pertuis, commune du Vaucluse située à environ 20 kilomètres de chez lui, dans l’idée de confier son dossier à un juge. « Au greffe, on m’indique que ce n’est pas la procédure, que je dois commencer par saisir le conciliateur de justice. Cela me semblait pourtant simple et évident de m’adresser à la justice de proximité ! » Il s’exécute donc. Et n’a pas à aller loin puisque, comme souvent, le conciliateur est installé à l’étage du palais de justice. « J’ignorais que la conciliation de justice était le passage obligé avant de saisir le juge. J’ai exposé mon problème au conciliateur, se remémore Jean Attuyt. Il m’a répondu que je n’avais pas besoin de lui puisque j’avais fait appel à la médiation. »

À ce stade du récit, deux points de droit doivent être éclaircis. Depuis le 1er avril 2015, avant de pouvoir engager une action en justice, le demandeur doit justifier d’une tentative de règlement amiable (cela peut être un simple échange de lettres, une médiation…) ou d’une conciliation de justice. De plus, sous l’effet de la récente loi de réforme de la justice,  l’obligation de recourir à un conciliateur va être étendue à d’autres litiges que ceux inférieurs à 4 000 €. Cela sera précisé par un prochain décret.

Seul face aux juges

Ces précisions apportées, revenons au cas de Jean Attuyt. La procédure dans laquelle il est engagé prend dès lors une autre tournure, car il doit constituer un dossier pour le juge. Ce qui se traduit par la rédaction de courriers, des allers et retours à Pertuis, la collecte des diverses pièces à verser au dossier… sans compter le temps passé, l’attente, le stress, et le sentiment – partagé par la plupart des justiciables – de ne pas être traité avec considération. Autant d’écueils qui n’ont pas eu raison de l’opiniâtreté de Jean Attuyt. Il finit par déposer son dossier au greffe du tribunal, qui l’accepte. Et nous voilà en février 2018. L’ancien policier apprend qu’il est convoqué à une audience en avril. Entre-temps, il reçoit les conclusions de l’avocat de l’entreprise de déménagement. Étonné, le plaignant découvre, jointe au document, une copie d’une proposition d’indemnisation qui lui aurait été adressée. « Jamais je ne l’ai reçue », s’offusque-t-il. Or, dans son courrier, l’avocat prétend qu’il l’a refusée. Arrive le jour de l’audience. Jean Attuyt se présente au tribunal à Pertuis. Il a décidé de se défendre seul, sans avocat (contrairement à 60 % des répondants à notre enquête satisfaction). « La démarche est gratuite. Je ne voyais pas pourquoi j’allais payer les services d’un avocat pour une affaire somme toute assez simple. Je m’attendais à pouvoir exposer les faits, à être écouté et entendu, puis à ce que cela aille vite. Et là, je suis tombé de l’armoire. »

Le juge s’adresse à l’avocat de la partie adverse. Puis au plaignant : « Avez-vous transmis vos conclusions à l’avocat du déménageur ? » La réponse est non. La décision tombe : le procès est renvoyé à juin. « L’audience a duré à peine trois minutes, je n’ai pas eu le temps de dire un seul mot », s’étonne Jean Attuyt qui, comme bon nombre de justiciables dans ce type de litige, découvre les lourdeurs de la procédure et, surtout, l’absence totale de pédagogie des représentants de l’institution judiciaire… Quelques semaines avant l’audience de juin, et bien décidé à assurer ses arrières, il rédige et adresse ses conclusions à l’avocat de son adversaire. Il prend également la peine d’en déposer une copie au tribunal.

Peu de place accordée à l’humain

Juin 2018, la deuxième audience. Le juge s’adresse à lui : « On vous écoute. » Notre plaignant découvre cette fois-ci la réalité des tribunaux, bien illustrée par les résultats de notre enquête, qui se conclut par un mauvais taux de satisfaction globale de 31 % (voir plus loin) ! Celle d’une justice, pourtant dite de proximité, où le justiciable, impressionné, n’est aucunement informé « des codes ». Où l’on ne fait rien pour l’aider, le renseigner, le mettre à l’aise. Une justice froide et distante, bien loin de ce qu’elle prétend être. Jean Attuyt confie, désabusé : « D’un autre côté, j’ai bien vu qu’il y avait une trentaine de dossiers empilés les uns sur les autres sur le bureau du juge. Et cela devait être traité en un après-midi ! Alors, l’humain… » Au bout d’une dizaine de minutes, le magistrat annonce qu’il rendra sa décision en novembre 2018. De nouveau, l’incertitude et l’attente. La justice est d’ailleurs évaluée lente et complexe par 96 % des lecteurs ayant participé à notre enquête.

Jean Attuyt va par la suite apprendre que le juge a demandé des pièces complémentaires au déménageur. Le magistrat se pose des questions sur les conditions de mise en œuvre de la garantie prise pour son déménagement. Et il a demandé à l’avocat du déménageur de fournir le contrat d’assurance. Réponse : il n’y en a pas ! À l’audience de novembre, le jugement ne sera donc pas rendu, mais on rouvrira les débats !

Notre justiciable reprend espoir

Novembre 2018, nouveau déplacement pour Jean Attuyt. Le juge reçoit les conclusions des deux parties. Délibéré au 31 janvier 2019. Ce jour-là, nous accompagnons notre « lecteur-témoin » au tribunal de Pertuis. Sur une petite place, le palais de justice domine les terrasses de cafés alentours. Il se rend au greffe : « Bonjour, je m’appelle Jean Attuyt, je viens chercher mon jugement. » On lui répond froidement qu’il va le recevoir par la poste. Il insiste. La greffière lui tend finalement l’enveloppe. Dans le hall, de jeunes avocats en robe accompagnent leurs clients pour une conciliation en justice. C’est de plus en plus fréquent, paraît-il… Une grande pancarte colorée accueille les visiteurs : « Pour une justice plus transparente, plus proche, plus efficace… »Fébrilement, Jean Attuyt ouvre l’enveloppe. Avant qu’il n’en sorte le jugement, nous lui demandons ce qu’il espère : « Je ne sais plus trop. Mon épouse et moi, nous voudrions que cela s’arrête, nous avons des soucis de santé… Tout cela est trop lourd. » Ses vœux ont été exaucés. L’entreprise de déménagement a perdu – 64 % des répondants à notre enquête ont gagné leur procès, et ils sont en très grande majorité satisfaits de la décision rendue. Jean Attuyt sera indemnisé de 1 000 €. Exactement ce qu’il avait réclamé, ce qui est rare. Il laisse exploser sa joie. Un cheminement difficile de près d’un an et demi avec néanmoins la satisfaction d’aboutir : « Pour moi, ce n’est pas la justice qui est en cause. C’est la façon dont elle est appliquée », conclut notre témoin. Il reste maintenant à faire exécuter ce jugement (autrement dit, obtenir du déménageur le versement effectif de l’indemnisation). Mais, ça, c’est encore une autre histoire !

 

MÉDIATION DE LA CONSOMMATION

Les particuliers restent sur leur faim

Si vous avez un jour affaire à un « médiateur de la consommation », c’est que vous êtes un particulier et qu’un litige vous oppose à un professionnel. Le service est gratuit et censé vous éviter d’aller en justice. Mais avant de pouvoir le saisir, vous devrez franchir diverses étapes. À commencer par solliciter le service consommateurs de l’entreprise avec laquelle vous êtes en désaccord. Il faudra aussi vous armer de patience.

Ce jour-là, Que Choisir est reçu dans les étages d’un bel immeuble du 8arrondissement de Paris. Philippe Baillot, médiateur unique de l’assurance depuis 2015, nous accueille dans un bureau lumineux, des piles de dossiers multicolores en guise de décoration. Autour de lui, une armée de « petites mains », pas moins de 48 collaborateurs. Tous « jeunes juristes », ils épluchent les clauses de multirisques habitation, d’assurances auto ou encore de conventions ayant trait à la protection juridique… « La première faute du consommateur est qu’il ne lit quasiment jamais les contrats. Pourtant, bien souvent, ils sont assez bien fichus. Je le sais, j’en ai écrit quelques-uns par le passé », révèle Philippe Baillot. Titulaire d’un doctorat en droit, le médiateur unique de l’assurance a en effet fréquenté les couloirs de la banque et de l’assurance au plus haut niveau avant de prendre ses fonctions. Mais alors, ce médiateur, élu pour trois ans par décision conjointe de Francis Amand, à l’époque président de l’Institut national de la consommation (INC), Emmanuel Constans, alors président du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) et Bernard Spitz, président de l’Association française de l’assurance (AFA), est-il aussi indépendant qu’il le clame ? « Mon devoir est de jouer l’apaisement dans le conflit et de juger en équité », tempère Philippe Baillot. Avant d’ajouter : « Il n’y a pas d’obligation à appliquer mes décisions. Je donne avant tout un avis. D’ailleurs, à la suite d’une décision qui leur est défavorable, nous recevons parfois des courriers de consommateurs qui nous disent : “Merci, j’ai enfin compris.” »

Des délais encadrés

Côté procédure, c’est le même schéma qui s’applique, quel que soit le secteur (assurance, grande distribution, télécoms…). Le médiateur a 21 jours pour dire si une saisine est recevable ou non. Dans notre enquête satisfaction, il y a eu rejet dans 18 % des cas pour divers motifs (demande abusive, hors sujet…). Lorsque le dossier est accepté, le médiateur vérifie que le service réclamation de l’entreprise responsable a bien été saisi, demande les pièces fondant la réclamation, décortique les conditions générales de vente (CGV)… Il a en principe 90 jours pour rendre une décision. Mais ce délai peut être prolongé pour un dossier complexe. Et il l’est souvent si l’on se réfère aux témoignages reçus. De plus, selon notre enquête, seules 51 % des personnes engagées dans une médiation sont satisfaites des délais. Elles indiquent également que la solution proposée a été en leur faveur ou considérée comme équitable dans 54 % des cas, et que la solution a été approuvée par les deux parties dans les mêmes proportions (52 %). Néanmoins, la médiation reste mal vue puisque le taux de satisfaction globale est faible : 37 % ! En guise d’illustration, un petit florilège des reproches qui lui sont faits. « Je suis en correspondance avec le médiateur de la Mutualité française depuis 7 mois et ça n’avance pas » (Marie-Claire M.) ; « Le médiateur de la Fevad(Fédération des entreprises de vente à distance, ndlr) m’a donné raison dans mon litige m’opposant à Cdiscount : aucune suite ! » (Delphine C.) ; « Il a fallu 15 mois pour que le médiateur de l’Autorité des marchés financiers constate que la Banque postale refuse d’entrer en médiation » (Patrick L.).

Au fond, quelle est la finalité de ce système qui s’ajoute à d’autres ? Sans le vouloir, Philippe Baillot apporte un élément de réponse : « La médiation de branche a été renforcée pour que le consommateur consomme plus, l’esprit tranquille. Car il sait qu’en cas de problème, il pourra être défendu. » Vous faire consommer plus sous couvert de vous défendre, on n’avait en effet pas perçu que là se situait la vocation première de la médiation…

37 % : Taux de satisfaction globale sur la médiation.
Dans 54 % des cas, la solution proposée par le médiateur est jugée satisfaisante.
35 % des dossiers rejetés le sont parce qu’ils sont infondés.

 

CONCILIATION

Un passage de plus en plus obligé

S’adresser au conciliateur de justice avant de saisir le juge devient la règle. C’est l’une des mesures de la loi Justice, adoptée il y a quelques semaines. Une solution qui pose question !

« On fait monter en compétence les conciliateurs de justice. Notre rôle : rechercher un accord dans les conflits de vie quotidienne (litige avec un voisin, un commerçant, un organisme de crédit, un opérateur Internet…) pour éviter un “vrai” procès. Notre arbitrage se veut un subtil équilibre entre le droit et le bon sens. » Assis dans le salon de sa maison de Meylan (Isère), Pierre Bonthoux, septuagénaire alerte, résume ce que l’on attend de lui. Cet ancien industriel est devenu conciliateur de justice en juin 2018, après une rapide formation. Essayer de faire s’entendre des personnes n’est pas nouveau pour lui. Il a longtemps fait de la médiation pour le compte de la mairie de Meylan. « Dans 80 % des cas, il s’agissait de problèmes entre voisins. » En devenant conciliateur, il n’a pas été dépaysé ! « J’ai déjà eu à connaître une cinquantaine de dossiers. Et beaucoup sont liés au voisinage », précise-t-il.

Un rôle renforcé par la réforme de la justice

En 2017, on comptait 2 021 conciliateurs, souvent des retraités (anciens juristes, chefs d’entreprise, fonctionnaires ou gendarmes)… aux compétences très inégales. Nommés par le président de la cour d’appel, ils prennent de plus en plus de place dans notre système judiciaire. Certes, depuis toujours, le juge civil doit tenter la conciliation avant tout contentieux. De fait, le consommateur qui se présente au tribunal d’instance – où l’on tranche les litiges du quotidien, ni trop complexes juridiquement ni trop lourds sur le plan financier – est « facilement » dirigé vers le conciliateur, une procédure gratuite. Si l’autre partie refuse cette solution ou si la conciliation échoue, alors le juge prend le relais et tranche. Au contraire, lorsqu’elle aboutit, elle fait foi et peut même avoir valeur de jugement si elle est homologuée par le tribunal. Mais, ça, c’était avant ! Car la dernière réforme de la justice renforce la conciliation. Lorsque le texte entrera pleinement en vigueur, il faudra obligatoirement passer par l’étape « conciliateur » pour un nombre accru de litiges. « Contrairement à ce qui a été dit ici et là, la volonté n’est pas de faire des économies, de sous-traiter les “petites affaires”. Non, c’est la recherche d’une plus grande efficacité et rapidité qui a motivé cette approche », assène le porte-parole du ministère de la Justice, Youssef Badr. On veut bien le croire. Mais les faits sont là : notre justice est lente, souffre d’un manque chronique de moyens, et le contentieux de masse « surcharge » les tribunaux. Alors, à coups de réformes successives, le ministère de la Justice s’emploie à trouver des solutions. Surtout pas trop coûteuses ! Au bout du compte, la justice repose en partie sur du bénévolat. Non rémunérés, les conciliateurs sont seulement défrayés (déplacement, timbres…). En outre, ce ne sont pas tous des professionnels du droit. Or, avec la montée en puissance de la conciliation, celui-ci ne risque-t-il pas de s’affaiblir ? Enfin, les dés peuvent être pipés. En général, dans un « litige consommation », le consommateur se présente seul tandis qu’en face, le professionnel est aguerri d’un point de vue juridique, quand il n’est pas accompagné d’un avocat. Selon notre enquête de satisfaction, 57 % de ceux qui ont eu affaire à la conciliation émettent un avis positif global. C’est faible…

Des justiciables qui font la moue

Du côté des témoignages recueillis par Que Choisir, il y a bien quelques expériences heureuses. Comme celle de Françoise C. : « La conciliation m’a permis de résoudre mon problème de voisinage rapidement, gratuitement et concrètement. » Mais les critiques sont nettement plus nombreuses. « Je me suis retrouvée face à un conciliateur qui connaissait l’autre partie par son travail, témoigne Frédérique M. Il prenait systématiquement sa défense, n’avait visiblement pas tenu compte des documents que j’avais préalablement adressés, si tant est qu’il les ait reçus. Bref, ce conciliateur s’est montré bien peu conciliant. » Dans un litige locatif, Sandrine F. a, pour sa part, été surprise par le manque de professionnalisme du conciliateur : « Dans l’accord qu’il a proposé, très favorable au locataire, détaille-t-elle, il n’a jamais évoqué le droit. J’attendais plus d’équité, d’impartialité et de bon sens de sa part. » Michel C. apporte un autre éclairage : « Lorsque je me suis retrouvé avec mon voisin devant le conciliateur, j’ai eu l’impression qu’il était dépassé. J’ai soulevé divers points de droit qui l’ont visiblement laissé démuni. » Il y a également des délais qui peuvent être longs. « Dans une affaire de séparation de propriété, relate Claude G., notre conciliation traîne depuis deux ans ! » Un cas extrême, notre enquête satisfaction révèle que 76 % des répondants estiment que les délais ont été corrects.

D’après les chiffres du ministère de la Justice, lorsque deux parties se retrouvent en conciliation, celle-ci aboutit à un accord dans 54 % des cas. Dans l’enquête de Que Choisir, ce taux passe à 65 %, avec un accord exécuté 9 fois sur 10.

57 % : Taux de satisfaction globale sur la conciliation.
Dans 65 % des cas, les deux parties acceptent l’accord.
Pour 76 % des situations, la durée de la conciliation est satisfaisante.

PRESCRIPTION : DES DÉLAIS SUSPENDUS

Quand un particulier a recours à la médiation ou à la conciliation, le délai de prescription pour saisir les tribunaux est suspendu. L’article 2238 du code civil dispose que la prescription est « gelée » à compter de la date de l’accord écrit par lequel les parties « conviennent de recourir à la médiation ou la conciliation, ou à défaut (…) à compter du jour de la première réunion de médiation ou conciliation ». De fait, si le délai de prescription est d’un an après la survenue du litige (délai fréquent pour les litiges avec un professionnel), et que le consommateur met 3 mois à entamer cette démarche de règlement amiable, à l’issue de celle-ci, il aura encore 9 mois pour aller en justice.

 

JUSTICE

Un nouveau traitement pour une grande malade

Une nouvelle réforme de la justice vient d’être adoptée avec, une fois encore, l’objectif de la rendre plus efficace et rapide. Son image reste très dégradée.

Nous avons donc laissé Jean Attuyt satisfait d’avoir obtenu pleinement gain de cause dans son procès l’opposant à un déménageur… Et lors de la prochaine enquête « qualité » que nous lancerons sur la justice, sans doute son avis tirera-t-il le taux de satisfaction vers le haut. Il en a bien besoin. Car le résultat obtenu pour cette édition 2019 est bien bas : 31 % des lecteurs sondés se déclarent globalement satisfaits ! Rarement une enquête de Que Choisir a donné un résultat aussi médiocre. Et les multiples témoignages que nous avons reçus viennent illustrer ce mauvais score. « Jugements bâclés » (Luc L.), « Justice lente » (Jenny C.), « Justice sous influence et partiale »(Henri M.), « Justice présentée comme gratuite alors qu’en réalité elle coûte (frais d’avocats, d’expertise…) et qu’elle n’est, par conséquent, réellement accessible qu’aux plus aisés »(Colette C.), « Justice pénale qui n’a aucune considération pour les victimes » (Patrick R.), « Justice incompréhensible et peu respectueuse du justiciable » (André M.)… Des verdicts parfois davantage fondés sur des impressions que sur des éléments probants.

Pour changer cette image, le ministère de la Justice a travaillé sur une énième réforme du système. La loi qui la porte a été adoptée cet hiver. Son entrée en vigueur sera progressive. Elle se veut ambitieuse et, bien sûr, aspire « à faciliter la vie du justiciable ». En tout cas, elle bouscule quelques acquis. Par exemple, pour le pénal, le texte prévoit d’expérimenter des tribunaux criminels. Composés uniquement de magistrats, ils déchargeront les cours d’assises, où siège un jury populaire, de certains crimes.

« Simplifions », qu’ils disent !

Du côté du civil et du règlement des « petits litiges », cette réforme annonce aussi quelques changements non négligeables. Qui pourraient éloigner les justiciables de la justice, et non les rapprocher ! Outre une place plus grande accordée à la conciliation, la justice entend « s’ancrer davantage dans l’ère du numérique »« Sur plusieurs années, 530 millions d’euros sont mis sur la table pour le développer, précise Youssef Badr, porte-parole de la chancellerie. Une somme utilisée pour l’équipement informatique des juridictions, ce qui permettra aux magistrats de travailler de manière plus moderne, et pour financer des outils mis à la disposition des justiciables. » Des plateformes de règlement de petits litiges en ligne vont être créées et une « vieille procédure » va prendre un coup de jeune. À l’avenir, l’injonction de payer qu’un créancier adresse à un débiteur ne se fera plus par écrit (formulaire à remplir au greffe du tribunal d’instance) mais via Internet. Le traitement de ces injonctions sera assuré par une juridiction compétente sur tout le territoire courant 2020. Cela pourrait notamment être source de quelques cafouillages pour peu que le débiteur traîne pour rembourser ou réclame des délais de paiement…

Autre évolution, une retouche du paysage juridictionnel. Pour simplifier la saisine « en matière civile », les tribunaux d’instance (soit 304 sites) vont disparaître dans leur forme actuelle et deviendront des « tribunaux de proximité » intégrés aux tribunaux de grande instance (164 sites), lesquels prendront le nom de « tribunaux judiciaires ». Certains s’inquiètent : cette nouvelle organisation ne va-t-elle pas se traduire par la suppression de plusieurs tribunaux d’instance ? Les justiciables devant alors faire de plus longs trajets pour régler leurs litiges du quotidien. « Il n’y aura aucune fermeture, la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, s’y est engagée, martèle Youssef Badr. Les tribunaux de proximité s’installeront dans les locaux des actuels tribunaux d’instance et, en principe, ils garderont les attributions de ces derniers, c’est-à-dire, et en simplifiant, les contentieux de moins de 10 000 €. » « Pourquoi s’en prendre à ce qui fonctionne ?, s’interrogent de nombreux juges d’instance. En moyenne, nous rendons une décision en 6 mois contre 10 à 12 mois pour les tribunaux de grande instance. » Pas de procès d’intention : on verra vite si l’engagement de ne pas fermer les petites juridictions sera tenu par le ministère.

Une forte défiance

Cette refonte du système judiciaire atteindra-t-elle ses objectifs : désengorger les tribunaux et être plus « lisible » pour le justiciable ? Cela ne suffira sans doute pas… Le refrain d’une justice structurellement pauvre devrait encore se faire entendre. La France compte près de 8 100 magistrats, c’est peu comparé aux pays voisins. Le constat vaut aussi pour le budget global alloué à la justice, néanmoins en hausse : + 25 % actés pour le quinquennat d’Emmanuel Macron. Dans un récent rapport, la Cour des comptes saluait cet effort, tout en se montrant sévère sur la gestion de l’institution judiciaire. Le juge financier note que l’augmentation de ces moyens humains et financiers s’est accompagnée… « d’une dégradation de la performance des juridictions ». La Cour pointe des délais moyens de traitement des affaires toujours trop longs, des taux d’absence des personnels administratifs trop élevés, et une « inégale répartition géographique » des magistrats. Combinée à leur « forte mobilité (…) », elle est « source de désorganisation pour les juridictions qui, pour certaines, voient leurs effectifs renouvelés à 50 % tous les deux ans ». Pas l’idéal pour le suivi des dossiers…

Face à ce tableau bien sombre, il convient toutefois de rappeler cette évidence. On oublie trop souvent que la justice est rendue par des humains. Elle en épouse de fait naturellement tous les travers. Une « grosse machine » qui peut également broyer ceux qui ont affaire à elle.

31 % :  Taux de satisfaction globale sur la justice.
96 % des répondants trouvent la justice lente et complexe.
Dans 43 % des cas, le jugement est vu comme satisfaisant (64 % des répondants ont gagné leur procès).

LITIGES DU QUOTIDIEN : LES VOIES À SUIVRE

Un souci avec un garagiste, une banque, un opérateur Internet ou un voisin ? Les voies à suivre pour tenter de régler un « petit litige ».

Médiation de la consommation

Avec ce mode de règlement extrajudiciaire apparu en 2016, le consommateur peut saisir un médiateur en cas de litige avec un professionnel dont le service clientèle a rejeté sa réclamation. Le médiateur, désigné dans les conditions générales, peut « couvrir » tout un secteur (exemple : médiateur de l’assurance, de l’énergie, des télécoms…) ou être propre à l’entreprise. Il peut aussi s’agir d’une société spécialisée dans la médiation. Soit un accord est trouvé, soit le médiateur propose une solution que les parties sont libres d’accepter ou non.

Conciliateur de justice

Intégré au système judiciaire, ce bénévole tient des permanences dans les locaux du tribunal d’instance, les maisons du droit ou dans les mairies. Il peut être saisi directement par les parties ou à la demande du juge. La récente réforme de la justice renforce son rôle. Le préalable de la conciliation va devenir obligatoire pour davantage de litiges.

Justice

Quand s’ouvre la phase contentieuse (faute d’accord amiable ou parce que la conciliation a échoué) c’est, en général, le tribunal d’instance (TI) qui est compétent. Si l’enjeu dépasse les 10 000 €, c’est le tribunal de grande instance (TGI). La réforme de la justice rebat cependant les cartes. Au 1er janvier 2020, les TI et TGI vont fusionner dans des « tribunaux judiciaires ». Les TI deviendront « des chambres détachées » et prendront le nom de « tribunaux de proximité ». Les périmètres d’action de ces deux pôles restent à clarifier et à préciser.

NOTRE ENQUÊTE SATISFACTION

  • Un questionnaire sur les modes de résolution des petits litiges a été intégré à notre newsletter, fin 2018.
  • Les personnes ayant eu recours à l’une de ces solutions (médiation, conciliation, justice) au cours des deux dernières années devaient donner un niveau de satisfaction globale, une évaluation et diverses informations sur quatre critères : l’accueil/les locaux, le rendez-vous/­l’audience principale, la solution proposée/le jugement, les délais.
  • Au total, nous avons reçu 1 350 réponses exploitables : 57 % concernent la justice civile ou pénale, 27 % la conciliation et 16 % la médiation. Les résultats sont distillés tout au long de cet article.